2025-10-25 19:48:42 - A l'entrée de Lopou, dans le sud ivoirien, une forte odeur de gaz lacrymogène flotte encore dans l'air. Les traces toutes fraîches des affrontements entre gendarmes et manifestants jonchent la piste de terre: pneus brûlés, troncs d'arbres abattus, tables de bois renversées.
Dans cette ville située à une quarantaine de kilomètres à l'ouest d'Abidjan, les routes principales comme les petites pistes adjacentes étaient bloquées samedi par des protestataires, a constaté une équipe de l'AFP.
Entre colère et désillusion, cette bourgade illustre la tension qui prévaut dans certaines zones du sud de la Côte d'Ivoire en ce jour d'élection présidentielle.
Des partisans de l'ancien président Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, tous deux écartés du scrutin, tentent de perturber le vote auquel le président sortant Alassane Ouattara est grand favori.
Les incidents sont toutefois restés très limités dans le pays.
- "ils entrent chez nous" -
Il y a "un front" entre "gendarmes et manifestants", lâche un chauffeur de taxi. "C'est chaud" là-bas, commente un autre ressortissant de la ville joint par l'AFP.
Lopou est une bourgade de 9.000 âmes, perdue entre les palmeraies dont vivent les habitants. Des boutiques informelles, des maisons basses et des masures, où vit en majorité une population Adjoukrou, du groupe ethnique Akan, majoritaire dans cette partie du pays.
La localité avait été mi-octobre le théâtre de plus d'une vingtaine d'arrestations après une manifestation spontanée contre l'incarcération d'un cadre du parti de Laurent Gbagbo.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, une tentative d'incendie sur une importante installation gazière près de Jacqueville, à une cinquantaine de kilomètres, a échoué mais aurait pu avoir "des conséquences incalculables si elle avait réussi".
Samedi à la mi-journée, l'entrée de Lopou était bloquée par un important dispositif de la gendarmerie, et semblait vivre au ralenti après les échauffourées.
"Tous les commerces sont fermés."On ne peut même pas boire un petit vin", lance avec ironie un villageois.
Mais derrière l'humour, la colère est profonde. "On est chez nous en Côte d'Ivoire. Il n'y aura pas de vote ici à Lopou", affirme un vieil homme, debout au milieu de la route barricadée.
Non loin, une femme s'époumone: "On nous accuse, on nous lance des gaz lacrymogènes, ils entrent dans nos maisons et prennent nos frères. Qu'ils les libèrent!".
À ses côtés, une autre habitante, le visage recouvert de talc pour calmer les brûlures du gaz, raconte une "nuit de terreur": "depuis trois heures du matin, on ne dort plus. Ils cassent les portes, ils prennent les gens. On est fatigués de ce pays. Ce quatrième mandat, on n'en veut pas".
- Trop de "passion" -
Lopou est un foyer de la contestation contre le président Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011. "La candidature de M. Ouattara est anticonstitutionnelle", clame un jeune homme, vêtu d’un t-shirt à l'effigie de Laurent Gbagbo, reprenant l'argument numéro 1 de l'opposition, systématiquement balayé par le pouvoir et le Conseil constitutionnel.
Certains habitants affirment avoir été victimes de violences lors des interventions des gendarmes. Un jeune aurait été touché par des tirs d'arme à feu de la gendarmerie à Ousrou, près de Lopou, assurent des manifestants, sans que l'AFP n'ait pu vérifier de source indépendante.
Des jeunes clament qu'ils vont se "laver" en un rituel secret pour être "invulnérables aux balles".
"Quand ils (les gendarmes) entrent dans une maison, ils jettent des grenades lacrymogène dégoupillées à l'intérieur", accuse un jeune, les restes de l'un de ces engins à la main.
À Lopou, les urnes ont déjà été évacuées vers la sous-préfecture, selon plusieurs témoins. "Il n'y a plus de bureaux de vote ici. Depuis qu'ils ont su qu'on voulait brûler les urnes, ils sont venus les récupérer", affirme un membre d'un "comité de veille" local.
"On veut Gbagbo ou Thiam. On les réclame ici. On ne veut pas de Ouattara", conclut-il, sous les regards approbateurs de ses compagnons, dans une odeur persistante de fumée.
"L'élection suscite toujours des passions, donc il y a certains de nos compatriotes qui peuvent être animés de sentiments peu louables et qui vont casser notre matériel", a déclaré Ibrahime Kuibiert Coulibaly, le président de la Commission électorale indépendante, à la mi-journée. "Mais c'est marginal, (...) tout se passe très bien", a-t-il commenté devant la presse.
AFP - Photo: Issouf SANOGO / bdi-hba/pid/sba
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