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Conclave : la France en odeur de sainteté ?

2025-05-05 18:27:12 - Le nom de Jean-Marc Aveline se murmurant dans les coulisses du conclave, la France se prend à rêver d'un pape français. Ne nous emballons pas : l'archevêque de Marseille, cardinal depuis peu, qui ne maîtrise donc pas la curie et ne s'est mis à l'italien que récemment, reste outsider. Mais un outsider parmi? les « papabili » favoris. Oui, il pourrait créer la surprise, avec son allure bonhomme à la Jean XXIII ? ce pape, fils de paysans, qui ressemblait à un curé de campagne et réforma l'Église en propulsant Vatican II. Mgr Aveline incarne un catholicisme d'ouverture, dans la ligne de François dont la proximité lui a permis de grimper vite les échelons ? archevêque de Marseille (2019), cardinal (2022), président de la Conférence des évêques de France (2025). Ce serait un choix historique, puisqu'un tel événement n'est pas arrivé depuis le XIVe siècle, et l'installation pontificale à Avignon, où sept papes français se succédèrent entre 1305 et 1378. 

Rome bruisse d'un autre nom, plus en cour celui-ci : il est bien placé au c?ur de la machine vaticane, il fait la course en tête depuis longtemps, ce qui fait de lui une cible ? la presse italienne le dit en perte de vitesse (ce que personne ne sait vraiment, secret du conclave oblige). Son élection, si elle avait lieu, permettrait aussi à la France de reprendre de l'influence au sommet de l'Église.
 
Car l'Italien Pietro Parolin, dont il s'agit, secrétaire d'État du Vatican, numéro deux donc, le diplomate dans l'ombre de François, qui préside le conclave, est francophile. Le prélat parle bien notre langue, et apprécie de suivre le Tour de France cycliste. Il était en janvier dernier à Paris où il a participé à un colloque au Quai d'Orsay commémorant le centenaire des accords Poincaré-Cerretti de 1924 entre la France et le Saint-Siège, établissant un statut juridique pour l'Église catholique en France. Il en a appelé à « une laïcité évolutive et dynamique » et il a profité de ce séjour pour rencontrer le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot et avoir un long échange avec le Premier ministre François Bayrou à Matignon ? notamment à propos de la fin de vie. Pietro Parolin est attendu aussi ce 11 mai à Argenteuil (Val-d'Oise) pour clôturer les cérémonies d'ostension de la tunique du Christ, conservée dans la basilique de la ville et exceptionnellement sortie de son reliquaire.
 
Dans cette sphère de « papabili » proches de la France, de très près ou de plus loin, il ne faut pas oublier non plus le cardinal guinéen Robert Sarah, qui fait partie des candidats sérieux, même s'il sera atteint par la limite d'âge (80 ans) le 15 juin et que son côté radical est clivant. Ce héraut d'un catholicisme identitaire, obnubilé par l'expansion islamique et la décadence de l'Occident, effraie les catholiques d'ouverture. Il n'en reste pas moins que le cardinal Sarah, qui a été éduqué par des missionnaires français spiritains, est très attaché à la France, dont il connaît parfaitement l'histoire et la culture, où il séjourne régulièrement, où ses livres et conférences, très soutenus par les médias conservateurs, rencontrent un vif succès.
 
À travers ces trois champions, le conclave 2025, année jubilaire pour les catholiques (l'événement a lieu tous les 25 ans), va-t-il renouer avec une grande tradition de la papauté, celle d'un souverain pontife francophile ?
 
« Habemus papam ! »
 
Une tradition qui, dans l'ère contemporaine, remonte à Pie XII, prêchant en 1937 à Notre-Dame de Paris, alors qu'il était encore le cardinal Pacelli : « Ici, c'est l'âme même de la France, l'âme de la fille aînée de l'Église, qui parla à mon âme ! » Une lignée poursuivie par Paul VI, lui aussi pétri de culture française et parlant parfaitement notre langue, et son successeur Jean XXIII, qui fut nonce apostolique à Paris de 1944 à 1953.
 
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Encore aujourd'hui, malgré le déclin de la religion catholique, la France garde une certaine aura à Rome, possédant quelques lieux emblématiques ? Saint-Louis des Français et ses Caravage, La Trinité-des-Monts, La Villa Bonaparte où se trouve son ambassade près le Saint-Siège? ?, regroupés dans ce qu'on appelle « les pieux établissements », institution qui puise ses racines dans l'époque carolingienne. Une flamme que continuent d'entretenir les religieux dominicains et une ambassadrice aussi discrète qu'active, Florence Mangin, à un poste tenu autrefois par le philosophe Jacques Maritain ? qui a marqué l'histoire de l'Église ? et le journaliste Wladimir d'Ormesson. Des Français tiennent encore des postes clés au Vatican, notamment Mgr Dominique Mamberti auquel ? en tant que cardinal protodiacre ? il incombera la mission de lancer le traditionnel « Habemus papam ! » du balcon de la basilique Saint-Pierre. Et même une Française, la religieuse Nathalie Becquart, propulsée par François comme cheville ouvrière du grand synode des évêques ? avec droit de vote, au même titre que les prélats?
 
Mais on est loin des grandes heures des cardinaux Villot ? qui fut au poste de Parolin, cardinal secrétaire d'État pendant dix ans (1969-1979) ?, Etchegarray, Tauran, Poupart, qui avaient la main sur l'exécutif, la diplomatie et la culture. C'était l'époque des papes Jean-Paul II et Benoît XVI qui ne cessaient de manifester un vif intérêt pour notre pays. Le premier s'y rendit huit fois ? autant que dans sa Pologne natale ? et le second, s'il ne vint qu'une seule fois (il n'a effectué que 25 voyages apostoliques) en 2008 séjourna durant quatre jours et montra une connaissance fine de la culture française, et de la langue, qu'il parlait avec précision. On a assisté, et on se souvient encore de son discours profond, solide, prophétique sur les « origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne », écouté dans un silence de cathédrale par les plus grands intellectuels et scientifiques français, pour l'inauguration du collège des Bernardins, à partir de ce lieu « emblématique » du monachisme occidental. « De jeunes moines ont ici vécu pour s'initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu, évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n'y rencontrons-nous qu'un monde désormais révolu ? » avait lancé le pontife allemand.
 
« France, fille aînée de l'Église, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême ? »
 
Benoît XVI avait ainsi interpellé notre vieux pays déchristianisé, près de trente ans après Jean-Paul II, en 1980, au début de son pontificat, posant le pied à l'aéroport du Bourget : « France, fille aînée de l'Église, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême ? »
 
Ces deux papes européens témoignaient d'une affection sincère pour un pays façonné par le christianisme, malgré les enragés révolutionnaires et le cuistre Napoléon Bonaparte arrachant des mains du pape Pie VII sa couronne pour se sacrer empereur, après avoir permis le retour de la religion catholique au pays de Clovis et de Charlemagne.
 
François, lui, se montra plus distant. C'est le moins que l'on puisse dire. S'il gratifia le Parlement européen à Strasbourg d'une visite en 2014 ? pour sermonner l'UE, « grand-mère fatiguée » ?, il évita de visiter la cathédrale alsacienne, affirmant qu'il venait au Parlement européen, pas en France. Argument repris près de dix ans plus tard quand il vint à Marseille, la ville de son ami Aveline ? certes, il fut le premier pape à y mettre les pieds depuis Clément VII en 1533 ?, où il parla davantage des migrants et de la Méditerranée que de la France. Et, comme on s'en souvient, il choisit d'honorer de sa présence un colloque sur la piété populaire en Corse, plutôt que l'inauguration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Se bornant pour cette célébration à un bref discours, lu par son représentant, le nonce apostolique Celestino Migliore, en forme de sermon pas très agréable pour les oreilles présentes : « Puisse la renaissance de cette admirable église constituer un signe prophétique du renouveau de l'Église en France. »
 
Le pape argentin, pourtant nourri à l'?uvre théologique (considérable) des jésuites français, en particulier du père Henri de Lubac (théologien proscrit par Pie XII, promu à Vatican II par Jean XXIII, créé cardinal par Jean-Paul II), a quelque peu négligé notre pays ? au même titre que d'autres vieilles nations comme l'Allemagne et l'Espagne, notamment ? attentif qu'il était aux périphéries, les petits peuples et États laissés-pour-compte de l'ordre mondial. Certes, il a promu plusieurs cardinaux français ? le Marseillais Jean-Marc Aveline, le Corse François Bustillo, le nonce aux États-Unis Christophe Pierre, l'archevêque d'Alger, né à Lyon, Jean-Paul Vesco? Mais à la toute fin de son pontificat, et alors que « la fille aînée de l'Église » n'était plus représentée dans le Sacré Collège que par des cardinaux chenus.
 
Pas de pape français depuis le XIVe siècle, et pas un à Rome depuis l'an mil
 
La France n'a pas eu un pape à Rome depuis le règne de Sylvestre II, connu comme « le pape de l'an mil », né Gerbert d'Aurillac, en Aquitaine, vers 945, et seul pape français exerçant en Italie. Et elle n'a pas eu un pontife tout court dans toute l'histoire de la papauté depuis le XIVe siècle, où elle monopolisa ? durant près de soixante-quinze ans ? le siège pontifical en Avignon.
 
C'est Bertrand de Got, devenu Clément V en 1305, né en Guyenne (actuellement en Gironde), qui lança le mouvement, quand la nouvelle de son élection lui est parvenue alors qu'il se trouvait dans son archevêché de Bordeaux, et ? gravement malade ? refusa de rejoindre Rome, où sévissaient des épidémies et un peuple houleux. Il se fit couronner à Lyon, s'installa à Avignon, au c?ur des terres pontificales du Comtat Venaissin, et créa dix cardinaux ? à l'époque ils étaient peu nombreux ? « dont neuf étaient français et quatre d'entre eux, ses neveux », comme le relate John W. O'Malley dans sa passionnante Histoire des papes, de Pierre à François (Lessius). Après Clément V, se succédèrent six papes français, et parmi les 134 cardinaux créés à l'époque, 112 furent également français, rappelle l'historien jésuite, qui fut professeur à l'université de Georgetown, à Washington (il est mort en 2022).
 
À LIRE AUSSI Marco Politi sur les femmes prêtres : « Le veto de l'Église catholique est devenu intenable » Ce règne français sur la papauté s'acheva quand Grégoire XI, né Pierre Roger de Beaufort à Rosiers-d'Égletons en Corrèze ? comme son oncle, Clément VI, pape avant lui? ?, revint, le 17 septembre 1377, à Rome, et s'établit, le premier, au Vatican ? plutôt qu'au palais du Latran. Après son décès, quatorze mois plus tard, les cardinaux choisirent l'archevêque de Bari, Bartolomeo Prignano, sous la contrainte. Le conclave était alors tenu par les Français ? ils étaient douze cardinaux pour seulement trois italiens et un espagnol ?, mais Rome fut embrasée par des émeutiers refusant qu'Avignon redevienne la capitale de la papauté. Ce fut le début du règne des Italiens sur le gouvernement de l'Église catholique.
 
Notre vieille nation chrétienne, qui fut le berceau d'une multitude de grands ordres religieux, qui a donné tant de saints et de saintes, bâti une floraison d'églises, d'abbayes et de cathédrales, va-t-elle se ragaillardir d'un pape qui lui témoignera de l'affection, à l'heure où les catholiques reprennent espérance, sous l'effet d'une croissance exponentielle des baptêmes d'adultes et d'adolescents ? Il y a un homme qui, de là où il se trouve, en serait touché en plein c?ur. Ce prélat, juif converti au catholicisme, proche de Jean-Paul II, et qui fit figure aussi en son temps de « papabile », c'est celui qui fut l'emblématique et le prophétique archevêque de Paris : Jean-Marie Lustiger.
 
 Par Jérôme Cordelier - Le Point/Photo:SOPA Images/SIPA

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