2025-04-08 06:30:14 - Invoquant une loi de 1798 sur les ennemis étrangers, Washington a expulsé, mi-mars, 238 Vénézuéliens vers le Salvador, sans aucun jugement. Le gouvernement américain les accuse d'appartenir à l'organisation criminelle Tren de Aragua. Mais, selon une enquête de la chaîne CBS, la plupart d'entre eux n'ont apparemment pas de casier judiciaire.
Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, l'administration américaine vise les immigrés sans papiers, les accusant d'être des criminels affiliés à des gangs. Le président a expulsé mi-mars plus de 200 Vénézuéliens accusés d'être des membres du groupe criminel Tren de Aragua vers une mégaprison du Salvador, en invoquant une loi d'exception utilisée jusqu'alors uniquement en temps de guerre.
Trois semaines après ces faits, l'émission 60 minutes de la chaîne américaine CBS a révélé, dimanche 6 avril, que la plupart de ces prisonniers n'étaient pas des membres de gangs violents. "Le gouvernement a divulgué très peu d'informations sur ces hommes. Cependant, grâce à des documents internes, nous avons obtenu une liste de leurs identités et constaté qu'une grande majorité d'entre eux n'ont apparemment fait l'objet d'aucune condamnation pénale, ni même d'aucune accusation criminelle", explique ainsi ce reportage. "Parmi eux : un maquilleur, un footballeur et un livreur de nourriture, détenus dans un endroit si dur que le ministre de la Justice du Salvador a déclaré un jour que la seule issue était un cercueil."
La chaîne CBS s'est penchée tout particulièrement sur le sort de ce maquilleur. Âgé de 31 ans, Andry Hernandez Romero a quitté le Venezuela l'an dernier car il était pris pour cible en raison de son homosexualité et de ses opinions politiques, selon son avocate Lindsay Toczylowski. Après avoir déposé une demande d'asile, il a subitement disparu. Il est finalement apparu sur des photos prises par le photographe du Time Philip Holsinger lors de l'arrivée au centre de confinement du terrorisme (Cecot) à 75 km au sud-est de la capitale San Salvador. Le Cecot est la prison de haute sécurité que le gouvernement du président Nayib Bukele a construite pour incarcérer les membres de gangs arrêtés dans le cadre de sa "guerre" contre ces groupes criminels lancée il y a presque trois ans.
Le photographe a raconté à CBS avoir entendu un jeune homme dire : "Je ne suis pas membre d'un gang. Je suis gay. Je suis styliste". Le prisonnier aurait pleuré et appelé sa mère lorsqu'il a été giflé et qu'on lui a rasé la tête. D'après son avocate, il aurait été accusé par les autorités américaines de faire partie du gang Tren de Aragua, en raison de deux tatouages représentant des couronnes, mais qui sont en réalité des témoignages d'affection envers ses parents.
Pour justifier la déportation d'un autre migrant vénézuélien, Jerce Reyes Barrios, l'administration Trump s'est aussi appuyée sur l'un de ses tatouages représentant également une couronne. Mais selon son avocat, celui-ci rend hommage à son équipe préférée le Real Madrid.
Directeur de l'agence responsable du contrôle des frontières et de l'immigration, Tom Homan a expliqué à CBS que "les agents d'immigration avaient passé des heures à effectuer des contrôles rigoureux sur chacun des hommes pour confirmer qu'ils étaient membres du Tren de Aragua, un gang vénézuélien que le président Trump avait pour objectif d'éradiquer". Pourtant, selon la chaîne de télévision, 75 % d'entre eux, soit 179 hommes, n'ont pas de casier judiciaire.
En réponse à ces conclusions, une porte-parole du Département de la Sécurité intérieure a déclaré à 60 Minutes que nombre de personnes sans casier judiciaire "sont en réalité des terroristes, des auteurs de violations des droits de l'Homme, des gangsters, etc. Ils n'ont tout simplement pas de casier judiciaire aux États-Unis".
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Une expulsion par erreur
La justice américaine a cependant admis la semaine dernière une première erreur concernant ces expulsions. Une juge fédérale américaine a ordonné, vendredi 4 avril, le retour aux États-Unis de Kilmar Abrego Garcia, un immigré salvadorien vivant dans le Maryland et marié à une Américaine, qui a fait partie du convoi de personnes expulsées au Salvador le 15 mars.
L'homme a été placé en détention "sans fondement légal" le 12 mars, et expulsé trois jours plus tard "sans aucune justification légale ni processus" judiciaire, a affirmé la juge Paula Xinis, lors d'une audience d'urgence. Elle précise en note que "les 'preuves' contre Abrego Garcia n'ont consisté en rien de plus qu'en sa casquette des Chicago Bulls et un sweat à capuche, ainsi qu'une vague accusation, non-corroborée, d'un informateur affirmant qu'il appartenait" à la branche du MS-13 à New York, "un endroit où il n'a jamais vécu". "Son maintien au Salvador, pour des raisons évidentes, constitue un préjudice irréparable", a assuré la juge dans son ordonnance, adressée au ministère de la Sécurité intérieure et à d'autres agences.
La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a réagi à la décision de la juge dans un communiqué: "Nous suggérons à la juge de contacter le président Nayib Bukele (président du Salvador, ndlr) car nous ignorons si elle a une quelconque compétence ou autorité sur le Salvador". "L'administration maintient sa position selon laquelle cet individu, qui a été expulsé vers le Salvador et ne reviendra pas dans notre pays, était membre du gang brutal et vicieux MS-13", a-t-elle également déclaré.
Interrogé dimanche soir sur le sujet par des journalistes à bord d'Air Force One, le président Trump a laissé entendre que l'immigrant expulsé par erreur faisait bien partie d'un gang. "Quelqu'un a dit que c'est un membre de MS-13 et pas Tren de Aragua", un autre gang, a-t-il déclaré. "MS-13 est une organisation très nocive, peut-être aussi nocive d'ailleurs" que Tren de Aragua, a-t-il poursuivi sans mentionner le nom de Kilmar Abrego Garcia.
Alors que la juge Paula Xinis a ordonné aux États-Unis de renvoyer Kilmar Abrego Garcia avant lundi soir, l'administration Trump a demandé à la Cour d'appel du 4e circuit des États-Unis, basée à Richmond, en Virginie, de bloquer cette décision.
Par Stéphanie TROUILLARD - France 24 / Photo:AP
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