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Koweït : Virage autoritaire au Koweït, 42 000 citoyens déchus de leur nationalité

2025-03-13 09:37:47 - En six mois, près de 42 000 Koweïtiens ont été déchus de leur nationalité, au mépris du droit international. Un phénomène inédit qui accompagne le virage autoritaire du nouvel émir du Koweït, Mechaal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah. Sous couvert de lutte contre la fraude, cette politique frappe aussi bien des citoyens naturalisés que des  opposants politiques.

Près de 42 000 ressortissants du Koweït ont été déchus de leur nationalité en six mois. Du jamais vu dans ce pays du Golfe qui connaît un tournant autoritaire depuis l’arrivée sur le trône du nouvel émir Mechaal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah fin 2023. 

Affirmant qu’il ne laisserait pas la démocratie "détruire l’État", le souverain de 83 ans a décidé de suspendre le Parlement le 10 juin 2024 et a annoncé une révision de la Constitution dans le but de mettre fin aux blocages, qui selon lui paralysent le Koweït depuis des décennies. Plusieurs personnes ayant critiqué cette initiative ont été arrêtées, et des députés ont été poursuivis dans une vague de répression dénoncée par Amnesty international.
 
La déchéance massive de nationalité observée au Koweït depuis septembre s’inscrit dans cet épisode de dérive autoritaire. La révocation de la nationalité était déjà pratiquée dans ce pays, comme dans d’autres monarchies du Golfe, mais elles se faisaient jusqu’ici au compte-goutte, à la suite de décisions judiciaires, tant contre des opposants politiques que des détenus accusés de terrorisme à Guantanamo.
 
La promulgation en décembre d’un amendement législatif autorisant la déchéance de nationalité pour "‘turpitude morale ou malhonnêteté’, ou pour des actions visant à menacer la sécurité de l’État, y compris des critiques à l’égard de l’émir ou de figures religieuses", est venu faciliter les choses.
 
Un Comité suprême chargé d'enquêter sur la citoyenneté Koweitienne, présidé par le ministre de l'Intérieur examine les cas. Et chaque semaine, des listes sont rendues publiques, suscitant l’angoisse chez les Koweitiens, qui les parcourent frénétiquement, craignant d’y retrouver leur nom ou celui d’un proche, raconte le Financial Times.
 
Binationaux et femmes de Koweïtiens
 
Le 6 mars, pas moins de 464 citoyens ont été déchus de leur nationalité en une seule journée, dont douze personnes accusées de détenir "illégalement" la double nationalité et 451 de "faux et de fraude", rapporte Al-Monitor. 
 
Le Koweït n’autorise pas d’avoir la binationalité. Aussi, lorsqu’ils sont devenus Koweïtiens, certains citoyens ont dû abandonner leur première nationalité au profit de celle de l’émirat. Mais aujourd'hui, ces derniers font partie des personnes ciblées par les mesures de déchéance.
 
C'est le cas notamment des épouses de Koweïtiens. Ces dernières étaient devenues Koweïtiennes et se retrouvent  maintenant apatrides. Elles n’ont plus accès aux soins hospitaliers gratuits, ni ne peuvent renouveler l’inscription de leurs enfants à l’école publique.
 
Les non-Koweïtiens ne peuvent pas avoir accès aux généreuses prestations sociales versées par cette riche pétromonarchie, ni posséder de terres, ou encore détenir la majorité des parts d’une entreprise. D’autres personnes qui ont perdu leur nationalité ont aussi rapporté avoir vu leur permis de conduire invalidés ou ne plus pouvoir accéder à leurs services bancaires.
 
"La rapidité de ces mesures et l’ampleur du nombre de personnes affectées est sans précédent au Koweït. Le gouvernement navigue à vue", observe Claire Beaugrand, chercheuse au CNRS à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRSSO) de l’université Paris Dauphine - PSL.
 
Face à la consternation suscitée par ces mesures, le gouvernement a tenté de rassurer en décembre sur la situation des épouses naturalisées après mariage, promettant de rétablir leurs pensions et leurs prestations sociales.

"Apatride du jour au lendemain"
 
Toutes les catégories sociales sont affectées par les révocations de nationalité, comme le rapporte le Financial Times. Le quotidien décrit l’histoire de Faisal, un homme d’affaire koweïtien, effondré depuis qu’il a eu la mauvaise surprise de se voir confisquer son passeport à l’aéroport alors qu’il s’apprêtait à voyager. Aucun motif ne lui a été communiqué, raconte-t-il. Mais son père, un Koweïtien naturalisé, a également été déchu de sa nationalité. "Ils m’ont rendu apatride du jour au lendemain", confie Faisal. "Aujourd’hui, tout ce à quoi je pense, c’est partir et m’installer à Dubaï".
 
Autre victime plus silencieuse de ces révocations de nationalité : l’opposition politique. "Le bruit court à Koweït que, sous couvert de procédures administratives contre des naturalisations "frauduleuses", ce sont des personnes issues de tribus, considérées par le pouvoir comme "déloyales", qui se sont vues dénaturalisées", indique Claire Beaugrand. Celles-ci appartiennent aussi fréquemment à l'opposition parlementaire
 
Au Koweït, ces dénaturalisations ne vont pas sans évoquer la présence d’une population privée de nationalité : les bidouns, littéralement les "sans nationalité". Ils n’ont en effet jamais pu prouver leur nationalité et restent dans les limbes juridiques depuis plusieurs générations. Leurs dossiers en attente de règlement sont traités par une institution spécifique : avec un statut qui n’est ni celui des citoyens, ni celui des étrangers en situation légale. Au nom de ce statut, ils sont privés des droits sociaux, politiques et économiques accordés au reste de la population. Ils seraient 100 000 au Koweït.
 
Discours xénophobe
 
Pour justifier sa campagne de déchéance de nationalité, le pouvoir véhicule un discours xénophobe : il faudrait sanctionner ces criminels étrangers qui profitent des généreuses aides sociales versées aux Koweïtiens. "Le Koweït a été instrumentalisé par d’autres nationalités. Je ne vais pas les citer, mais il y a des intrus étrangers qui n'ont pas les mêmes habitudes, la même langue que nous", a ainsi déclaré en mars le ministre de l'Intérieur, Cheikh Fahad al-Yousef, à la télévision koweïtienne Al-Rai TV. Dans son interview, ce membre de la famille royale évoque même le danger de porter atteinte à la "nature authentique" de la société koweïtienne et de générer des "confusions de lignage".
 
L’État a même ouvert une "ligne d’assistance téléphonique" pour encourager les Koweïtiens à rapporter les cas de personnes détentrices de la double nationalité et dénoncer celles qu’ils suspectent de produire de faux documents en vue d’obtenir la nationalité.
 
"La xénophobie s'exprime assez ouvertement dans l'espace public à Koweït. En 2019, une parlementaire, Safaa al Hashem, avait attiré l’attention en recommandant que les étrangers paient même "pour l’air qu’ils respirent". Au Koweït, le discours xénophobe n'est pas criminalisé, comme il l’est par exemple à Dubaï, où le gouvernement veille particulièrement à ce que règne un discours de tolérance", explique Claire Beaugrand.
 
L’économie koweitienne à la traine
 
L’argument économique est aussi mis en avant par le gouvernement et repris par une partie des médias. "Le gouvernement et la presse décrivent ces mesures comme une façon de réduire les dépenses de l’État en réduisant le nombre de citoyens bénéficiant des généreux avantages offerts par l'État providence koweïtien", souligne la chercheuse.
 
Face à la stagnation économique du pays, les autorités koweïtiennes sont inquiètes de se voir à la traîne par rapport à leurs voisins du Golfe, plus avancés dans la diversification de leur économie pour sortir de la dépendance exclusive au pétrole.
 
"À son arrivée au pouvoir, l’émir a promis de lancer des réformes économiques pour dynamiser la croissance", se souvient Claire Beaugrand. Mais jusqu’à présent, après avoir suspendu le Parlement, la seule solution qu’il a présentée est de stigmatiser une partie de ses propres concitoyens.
 
Article de Bahar MAKOOI-France 24/Photo:Yasser Al-Zayyat, AFP (Archive)

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