2025-03-12 10:53:21 - Selon certains groupes suprémacistes, les fermiers blancs seraient victimes de meurtres dans des proportions supérieures au reste de la population. Un fantasme contredit par les faits et par un nouveau jugement rendu en février.
LETTRE DE JOHANNESBURG
La petite phrase aurait pu passer inaperçue si elle ne démolissait pas un concept intimement lié aux récentes attaques de la Maison Blanche contre l’Afrique du Sud. Dans un jugement rendu mi-février, une magistrate sud-africaine a qualifié la notion de « génocide blanc » dans le pays d’« imaginaire ». Agitée par certains groupes suprémacistes, l’expression fait référence à l’idée que les fermiers blancs seraient victimes de meurtres violents dans des proportions supérieures au reste de la population sud-africaine. Un fantasme mille fois dissipé, de nouveau propulsé sur le devant de la scène.
En 2018 déjà, au cours de son premier mandat, Donald Trump s’inquiétait sur Twitter du « meurtre à grande échelle des fermiers » en Afrique du Sud. De retour au pouvoir, il a signé, le 7 février, un décret mettant fin à l’aide internationale destinée au pays et offrant le statut de réfugié aux Afrikaners – les descendants des premiers colons néerlandais, français et allemands –, en accusant notamment le gouvernement de « nourrir une violence disproportionnée contre les propriétaires de terres racialement défavorisés ».
Le 7 mars, le président américain a enfoncé le clou en offrant un accès accéléré à la nationalité américaine aux fermiers sud-africains « cherchant à fuir ce pays pour des raisons de sécurité ». Répondant à cette offre, qui fait écho à de nombreux tweets du milliardaire d’origine sud-africaine Elon Musk, le président du lobby nationaliste afrikaner Afriforum, Kallie Kriel, a estimé « compréhensibles » les « inquiétudes » de Donald Trump pour « la sécurité des fermiers en Afrique du Sud », alors que le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, affirme-t-il, « nie l’existence des meurtres dans les fermes, qui impliquent des tortures dans de nombreux cas ».
Un fantasme « imaginaire et irréel »
Dans une décision rendue trois semaines plus tôt, une juge sud-africaine s’était opposée à un legs d’un montant de 2 millions d’euros à une organisation locale qui se définit comme « un mouvement de défense civil permettant aux citoyens de résister au massacre promis des Blancs » en Afrique du Sud. Le legs, auquel s’opposaient les frères et sœurs du défunt, a été déclaré invalide au motif qu’il était « vague » et « contraire à l’ordre public ». La juge a notamment écarté le souhait du défunt que son argent soit utilisé pour « défendre ou prévenir un génocide blanc, ce qui est clairement imaginaire et irréel ».
« Cette juge a totalement raison, il n’existe aucun élément suggérant l’existence d’un génocide en Afrique du Sud, que ce soit contre les Blancs, les Noirs, les Afrikaners, les Zoulous ou n’importe quel groupe ethnique », balaie l’analyste Chris de Kock, spécialiste de la criminalité en Afrique du Sud et ancien membre des forces de l’ordre sud-africaines, à l’origine de la création d’un observatoire de la criminalité au sein de l’institution.
La réalité, explique-t-il, est que l’Afrique du Sud a un taux d’homicides « intolérablement élevé », – plus de 27 000 entre mars 2023 et mars 2024 – qui touche toutes les catégories de population. Parmi ces meurtres, environ une cinquantaine, en moyenne, a eu lieu dans des fermes chaque année, au cours de la dernière décennie. Soit « moins de 0,2 % du total des homicides », souligne Chris de Kock.
Un chiffre à relativiser, d’autant plus qu’il inclut non seulement les « meurtres de fermiers » – compris en Afrique du Sud comme les meurtres de fermiers blancs, qui représentent l’immense majorité des agriculteurs dans le pays –, mais également ceux de gardes, de locataires vivant sur les fermes ou de travailleurs agricoles, généralement noirs et rarement dénoncés par les groupes nationalistes blancs. Au cours des trois premiers trimestres de 2024, les forces de l’ordre ont ainsi dénombré trente-six meurtres dans des fermes, mais seulement sept visant des agriculteurs. Des chiffres, par ailleurs, en forte baisse depuis la fin des années 1990, où plus de 150 meurtres étaient commis dans des fermes chaque année.
Des meurtres tristement banals
Au-delà des chiffres, Afriforum soulignait, dans un rapport publié en 2024, que « la plupart des meurtres de ferme sont caractérisés par des niveaux de brutalité extrêmement élevés ». Un aspect souvent utilisé pour suggérer que ces crimes constitueraient une forme de criminalité à part, plus violente que les autres, possiblement en raison de la couleur de peau des victimes.
Les meurtres de fermiers sont « des crimes terribles, admet Nechama Brodie, mais ce sont les mêmes crimes terribles qui se produisent partout dans le pays », explique la journaliste sud-africaine, autrice de Farm Killings, un livre consacré au phénomène qui étend la réflexion à la violence subie par les Noirs dans les fermes sud-africaines. « Malheureusement, c’est une habitude sud-africaine, les criminels recourent à une violence extrême pour des butins extrêmement faibles », poursuit-elle.
Au fil des années, nombre de rapports ont ainsi démontré que ces meurtres étaient tristement banals au regard de la dynamique sud-africaine. A de rares exceptions près, ils se produisent au cours de cambriolages, le vol étant la deuxième cause de meurtres à travers tout le pays, rappelle Chris de Kock. Longtemps connus pour garder de l’argent liquide et des armes à feu chez eux, les fermiers sont susceptibles de constituer des cibles privilégiées de ces cambriolages dans les zones rurales.
De la même manière, le spécialiste déconstruit une statistique souvent mise en avant selon laquelle il serait « presque plus dangereux » d’être fermier que policier en Afrique du Sud. « En réalité, si on inclut la famille des agriculteurs, le ratio du nombre de meurtres rapporté à la population agricole est le même que celui observé dans la population générale. Si on ajoute les ouvriers agricoles, les gardes, etc., on tombe au-dessous du ratio national. En fait, on est plus en sécurité sur une ferme que n’importe où ailleurs dans le pays », explique Chris de Kock.
En dépit de cette réalité, le mythe d’un « génocide blanc » en Afrique du Sud est devenu une obsession de l’extrême droite à travers le monde, mentionné notamment par le néonazi Anders Breivik, auteur du massacre d’Utoya, en Norvège, en 2011. « Je ne crois pas que l’Afrique du Sud soit une préoccupation majeure pour Donald Trump. Mais, quand il parle des meurtres de fermiers blancs, il envoie un signal à ses supporteurs nationalistes, il envoie le signal qu’il se soucie du nationalisme blanc dans le monde entier », analyse la journaliste Nechama Brodie.
Article de Mathilde Boussion - Le Monde
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