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Sénégal : Au Sénégal, les autorités face à leurs promesses de réparation aux familles des victimes et anciens prisonniers de l’ère Macky Sall

2025-02-18 20:25:47 - Sous la présidence précédente, 79 personnes sont mortes et plus de 2 000 citoyens ont été détenus entre février 2021 et mars 2024. La loi d’amnistie, votée par l’ancien pouvoir, est synonyme pour beaucoup d’impunité. 

« Moi, ça va, j’ai rebondi, mais des gens ont perdu leur emploi durant leur incarcération. D’autres ont été empêchés de se présenter à leurs examens… Et puis il y a des séquelles variées dues aux conditions de détention, certains ont même attrapé la tuberculose », énumère Sory Sow, détenu neuf mois durant la longue crise politique qui a secoué le Sénégal de février 2021 à mars 2024. Il serait temps, estime le vendeur de fruits de mer au quartier Médina de Dakar, de dédommager ces anciens prisonniers.
 
De la première convocation de l’actuel premier ministre, Ousmane Sonko, alors leader de l’opposition, en février 2021, à la victoire de son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) à l’élection présidentielle de mars 2024, 2 172 citoyens sénégalais ont été détenus, selon le ministère de la justice. Des militants et des sympathisants du Pastef, des étudiants, mais aussi des personnes affirmant avoir été arrêtées en marge de manifestations auxquelles elles n’avaient pas pris part.
 
Le 4 février, le gouvernement a annoncé son intention d’accorder 10 millions de francs CFA (quelque 15 000 euros) aux familles de 79 personnes tuées au cours des manifestations. Une aide de 500 000 francs CFA pourrait aussi être versée à ceux qui ont été blessés ou emprisonnés. L’enveloppe globale atteindrait 5 milliards de francs CFA. Une initiative vivement critiquée par l’opposition qui dénonce des indemnités versées en dehors de toute procédure judiciaire et une manière pour le pouvoir de récompenser ses partisans.
 
« Il y en a qui nous ont déjà oubliés »
 
Pour le Pastef, le sujet est délicat. Ce sont les prisonniers politiques qui ont payé pour que le parti tienne jusqu’à l’élection présidentielle de 2024. Il leur doit aussi sa victoire. Les personnalités les plus populaires mobilisées des années contre la présidence de Macky Sall sont d’anciens détenus, comme l’activiste Falla Fleur ou encore le rappeur Nitdoff. Le parti ne peut pas se permettre de perdre le soutien de cette base.
 
Après leur incarcération, certains anciens prisonniers ont pu compter sur les militants du parti qui se sont cotisés pour les aider financièrement ou les aiguiller vers des psychologues et des médecins. Mais les indemnisations espérées tardent à venir. Et certains s’impatientent. « Il y en a qui nous ont déjà oubliés… Je ne compte que sur Ousmane Sonko, confie un ancien détenu. A l’époque de la crise, ses épouses venaient à la prison de Rebeuss s’enquérir de notre sort. Elles se sont toujours montrées proches de notre cause. »
 
« C’est vrai que, dans les boucles WhatsApp, certains s’énervent de l’absence de réparations pour ce qu’ils ont traversé », concède Sory Sow. De quoi les éloigner du Pastef, pour lequel beaucoup ont manifesté et voté ? « La plupart continue de soutenir le parti. Ils aimeraient juste être entendus sur leur cas », assure le commerçant.
 
Les anciens détenus ne manquent pas de relais au sein du parti, comme Djamil Sané, le maire des Parcelles assainies, une commune de Dakar. Hannibal Djim, incarcéré pendant un an, tombé dans le coma des suites d’une grève de la faim conduite en détention, et devenu depuis conseiller spécial du président Bassirou Diomaye Faye, a également fait part de son soutien « sans réserve » aux indemnisations.
 
Le débat sur la loi d’amnistie
 
D’anciens prisonniers ont par ailleurs proposé, le 5 février, que certains, à condition qu’ils disposent des diplômes nécessaires, soient recrutés pour combler les besoins en enseignants. Ou que des bourses pour étudier à l’étranger leur soient octroyées.
 
Ils espèrent d’autant plus obtenir gain de cause que le trio dirigeant, le président Bassirou Diomaye Faye, le premier ministre Ousmane Sonko et le président de l’Assemblée nationale El Malick Ndiaye, ont tous les trois connu la prison. Plusieurs anciens détenus ont aussi été nommés à des postes stratégiques, à l’instar de Fadilou Keïta, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
 
C’est aussi le cas d’Outhmane Diagne, diplômé en droit et placé à la tête du Conseil d’administration du Fonds d’entretien routier autonome (FERA). « Les nominations ont été faites aux compétences. J’ai été choisi sur mes diplômes », assure ce dernier tout en concédant : « Est-ce que le passage par la prison indique de la fidélité et de la persévérance ? Sans doute. »
 
Le débat sur l’indemnisation des anciens détenus en ravive un autre : celui sur la loi d’amnistie. Cette dernière, votée sous l’ancien président Macky Sall à la veille de la présidentielle de mars 2024, pour ramener le calme. Elle avait permis à des centaines de détenus de retrouver la liberté, parmi lesquels Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, libérés dix jours avant le scrutin.
 
« Laisser le temps aux autorités »
 
Mais la loi, pour beaucoup de prisonniers, est aussi synonyme d’impunité, la répression contre les manifestants ayant causé la mort de 79 personnes. Arrivé au pouvoir, le Pastef avait promis que le texte serait abrogé. Mais aucun projet n’a encore été introduit dans ce sens à l’Assemblée nationale.
 
L’opposition issue des rangs de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall, de son côté, ne manque jamais de rappeler : revenir sur la loi d’amnistie pourrait conduire certains à répondre à nouveau à des charges portées contre eux. Notamment Ousmane Sonko, inculpé en 2023 pour différents motifs, notamment des « actes visant à compromettre la sécurité publique », et qui ne bénéficie pas de la même immunité que le président Bassirou Diomaye Faye.
 
« Nous avons refusé les termes de cette loi d’amnistie depuis nos cellules même, souligne Diop Taïf, leader du Collectif des ex-détenus politiques et victimes du Sénégal (Codeps), Ça n’est pas maintenant que nous allons baisser les bras pour la voir abrogée. » Et si lui veut « laisser le temps aux autorités de bien mener une démarche juridique complexe », certains de ses anciens compagnons s’impatientent.
 
Article de Jules Crétois - Le Monde

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