2025-01-16 06:26:33 - Assis devant l’allée des avocats, au plus près de la barre du tribunal, Nicolas Sarkozy trépigne, grimace, rit en silence… Il y a chez l’ex-chef de l’État une volonté d’exhiber au tribunal correctionnel ses expressions et une grande assurance, alors que le cœur de l’affaire dite de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 est abordé.
Depuis lundi, le tribunal tente de savoir ce qui a pu se nouer, entre octobre et décembre 2005, à Tripoli. À trois reprises, Claude Guéant, directeur de cabinet à Beauvau, puis Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, puis Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, y ont été reçus. Plusieurs éléments, outre des témoignages accablants côté libyen, ont poussé les juges d’instruction à estimer qu’un « pacte de corruption » aurait été pris à ce moment-là.
Le statut d’Abdallah Senoussi en question
« À aucun moment je n’ai eu à connaître cet aspect des choses », a répondu Jean-Luc Sibiude, ambassadeur de France en Libye entre 2004 et 2007. Interrogé comme témoin, mercredi, le diplomate a toutefois ajouté, dans un sursaut : « Je savais une seule chose, c’est le possible changement de statut d’Abdallah Senoussi. Même si ce n’était pas officiel, je savais que la France y réfléchissait. »
Une déclaration qui pourrait déclencher un scandale politique en soi. Car Abdallah Senoussi, alors patron des services secrets et beau-frère de Mouammar Kadhafi, a été condamné à perpétuité par la justice française pour avoir commandité l’attentat contre l’avion DC-10 d’UTA qui a fait 170 morts en 1989. Est-ce pour parler du mandat d’arrêt international émis contre l’intéressé que Claude Guéant et Brice Hortefeux l’ont rencontré sans leurs délégations ?
« S’ils ont eu lieu, ces échanges portaient certainement sur le mandat d’arrêt international. » Le diplomate a même ri à l’idée que Senoussi ait pu s’intéresser aux collectivités territoriales françaises, raison officielle et « peu banale », selon le témoin, de la venue de Brice Hortefeux, qui comme Claude Guéant dit avoir été piégé par Abdallah Senoussi et n’avoir évoqué que des questions liées à l’immigration.
Ce que soupçonnent les juges d’instruction, c’est que le changement de statut d’Abdallah Senoussi soit l’une des contreparties à un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, dont les détails auraient été réglés par le chef des services secrets et Brice Hortefeux. Le tout après avoir été scellé par Mouammar Kadhafi et l’ancien président français, lors de sa venue en octobre 2005.
Mais ont-ils vraiment pu en discuter ? Alors que Nicolas Sarkozy assure qu’il ne s’est jamais retrouvé seul avec le guide de la révolution libyenne, Jean-Luc Sibiude a corroboré, mercredi, la version de l’intermédiaire Ziad Takieddine : « Il y a eu un entretien privé, exclusivement privé, avec l’interprète. Ils se sont éloignés de la tente et ont disparu vers les bureaux », a raconté l’ambassadeur, sans pouvoir dire si la traductrice, française, était restée tout au long de l’échange.
Enfin, le diplomate a donné son point de vue sur un document clé du dossier : la note officielle demandant au fonds souverain libyen de débloquer 50 millions d’euros pour la campagne de Nicolas Sarkozy, qui crie au « faux grossier ». « Elle me paraît tout à fait conforme aux notes que les Libyens pouvaient envoyer. Sur le plan formel, c’est un vrai », assure Jean-Luc Sibiude. Deux mètres à sa droite, l’ex-chef d’État remue nerveusement les lèvres. Le voilà moins à l’aise. Jusqu’au 10 avril, il lui sera difficile d’afficher une confiance inébranlable.
Article de Florent LE DU-l'Humanité
: Afrique Monde