2024-11-29 06:33:33 - Rien ne prédestinait ce discret diplomate de 75 ans, ancien ambassadeur en Algérie et en Argentine, à devenir président du Venezuela. Alors que le régime de Nicolas Maduro interdisait toute participation de l'opposition, notamment celle de la leader Maria Corina Machado, Edmundo Gonzalez a accepté au pied levé d'être candidat. Président élu le 28 juillet dernier, il se retrouve sur un chemin semé d'embûches. Nicolas Maduro lui refuse sa victoire électorale avec la complicité d'un Conseil national électoral à ses ordres. Aujourd'hui exilé à Madrid, Edmundo Gonzalez peut-il réussir à prendre ses fonctions le 10 janvier prochain comme le prévoit la loi vénézuélienne ?
« J'y crois », confie-t-il en français depuis Madrid lorsqu'il apparaît sur l'écran de l'ordinateur dans une chemise à rayures bleues, les cheveux fins soigneusement peignés. L'Union européenne lui a octroyé le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, en tandem avec Maria Corina Machado. Edmundo Gonzalez, qui était récemment à Bruxelles, prévoit de voyager bientôt à Washington pour rencontrer la nouvelle administration de Donald Trump, puis à Paris afin de solliciter le soutien du président Emmanuel Macron. Les pressions de la communauté internationale seront-elles suffisantes pour qu'une transition se mette en place au Venezuela ?
Le Point : Quels éléments factuels vous permettent de revendiquer votre victoire électorale sur Nicolas Maduro à l'élection présidentielle du 28 juillet dernier ?
Edmundo Gonzalez : Les procès-verbaux officiels des feuilles de dépouillement montrent que plus de 7,3 millions d'électeurs vénézuéliens ont voté pour moi. J'ai donc gagné avec près de 70 % des voix. Si les Vénézuéliens qui habitent à l'étranger avaient été autorisés à voter [environ 8 millions de personnes, NDLR], j'aurais même été élu avec plus de 85 % des votes.
Pourquoi vous êtes-vous exilé après avoir remporté l'élection ?
Après le scrutin, j'ai reçu trois citations à comparaître au Ministère public pour me défendre d'accusations de terrorisme et de falsification de documents notamment. Pressentant un piège, j'ai décidé de ne pas m'y rendre. À Caracas, quatre véhicules des services de sécurité avec une douzaine d'agents du régime montaient la garde au coin de ma rue. Les autorités ont émis un mandat d'arrêt contre moi. Or, au Venezuela, comme vous le décrivez bien dans votre reportage à Caracas, être arrêté, c'est être condamné par avance. Je me suis réfugié un soir à la résidence de l'ambassadeur des Pays-Bas, où je suis resté 37 jours, puis à l'ambassade d'Espagne, à deux cents mètres de là. Pour ma sécurité, j'ai été contraint de quitter le pays avec ma femme.
Le régime de Nicolas Maduro est-il une dictature ?
Comment voulez-vous qualifier autrement un pays où il y a actuellement plus de 2 000 prisonniers politiques ? Où presque tous les médias ont été fermés ou sont censurés ? Où il n'y a ni liberté syndicale ni liberté d'opinion ? Enfin, où les cinq membres du Conseil électoral qui supervise les élections sont à la botte du gouvernement ? C'est bel et bien une dictature qui sévit au Venezuela.
Quand a-t-elle commencé selon vous ?
On a assisté ces dernières années à une détérioration progressive des libertés individuelles, de la liberté d'expression politique et de la liberté de la presse. Hugo Chavez (au pouvoir de 1999 à 2013) était déjà un leader autoritaire, avec des pulsions dictatoriales. La situation a empiré avec Nicolas Maduro. Au cours des vingt dernières années, le régime a fermé plus de 400 médias, journaux, radios, chaînes de télévision et plateformes numériques. Entre 2013 et 2022, plus de 60 journaux ont cessé d'exister. Dix chaînes étrangères de télévision ont été expulsées du pays. Quant aux chaînes locales, elles ont recours à l'autocensure, sinon elles disparaissent.
Nicolas Maduro assure qu'il a gagné l'élection et qu'il restera au pouvoir. Comment allez-vous faire pour prendre vos fonctions ?
Je suis le président élu du Venezuela et je remplacerai Nicolas Maduro le 10 janvier 2025. Néanmoins, il y a des éléments impondérables dont il faut tenir compte. La dictature de Nicolas Maduro ne me laissera peut-être pas rentrer dans mon pays. Mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour être au Venezuela le 10 janvier 2025.
Dites-nous plus concrètement comment vous comptez vous y prendre?
Face à une dictature et un adversaire de cette trempe, il ne faut pas abattre ses cartes et dévoiler en avance sa stratégie. Ce que je peux vous dire, c'est qu'avec la plateforme unitaire démocratique à laquelle j'appartiens, nous allons continuer de dénoncer le régime de Nicolas Maduro et sa dérive antidémocratique.
J'espère qu'il ne faudra pas attendre qu'il y ait des dizaines de morts au Venezuela pour attirer l'attention sur la situation dans notre pays. Que les pressions de la communauté internationale, notamment les sanctions à l'encontre des responsables du régime qui se sont illégalement enrichis, porteront leurs fruits. Nous allons poursuivre les manifestations partout dans le monde et dénoncer sans relâche la répression dans le pays, notamment la persécution de la leader de l'opposition Maria Corina Machado, contrainte de se cacher de maison en maison afin d'éviter la prison.
Le soutien de l'Union européenne est-il suffisant aujourd'hui ?
Le soutien de l'Union européenne pourrait être encore plus important. Car plus il y aura de pression démocratique sur le régime de Maduro pour faire respecter la volonté du peuple vénézuélien, plus les conditions de mon accession au pouvoir seront réunies. À Bruxelles, je me suis longuement entretenu avec Josep Borrell, vice-président de la Commission et haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères, et avec des parlementaires européens. Ils nous soutiennent.
Seulement une partie des chefs des forces armées soutiennent encore Maduro.
Que direz-vous à Emmanuel Macron quand vous le rencontrerez ?
Je prévois d'aller en France dans les prochaines semaines. Je raconterai au président Macron la situation terrible du Venezuela, la dérive croissante autoritaire et dictatoriale, les restrictions aux libertés civiles, et lui détaillerai notre plan de redressement pour le pays.
Qu'attendez-vous du nouveau président Donald Trump ?
Donald Trump a affirmé le 6 août dernier qu'il savait « très bien que le Venezuela était gouverné par un dictateur », donc nous attendons un appui important des États-Unis. Je prévois d'y voyager dans les prochains jours afin de rencontrer le futur secrétaire d'État, Marcos Rubio. La récente déclaration, à Rome, des ministres des Affaires étrangères du G7 (États-Unis, Canada, Italie, Allemagne, Royaume-Uni, Japon, France) est un pas important. Ils reconnaissent ma victoire électorale et disent vouloir faciliter une transition démocratique et pacifique.
L'une des clés à votre accession au pouvoir est l'armée. Or, elle reste contrôlée par Maduro?
Pas toute l'armée ! Seule une partie des chefs des forces armées soutient encore le régime. La plupart des militaires sont comme tous les citoyens vénézuéliens. Ils en ont marre de l'absence de médicaments, des pénuries alimentaires, de la détérioration des hôpitaux, de l'absence d'une éducation de qualité et de l'émigration de leurs proches. Il y a un fait qu'on ne peut nier : j'ai aussi gagné dans tous les centres électoraux installés sur les zones militaires.
Après la violente répression lors des manifestations qui ont suivi l'élection, les gens ont peur de manifester dans la rue. Comment les mobiliser ?
Il y a encore des manifestations de professeurs, de chauffeurs et de professionnels de la santé. Et le ?Comando con Venezuela?, notre mouvement politique avec María Corina Machado, a appelé les Vénézuéliens à se mobiliser ce dimanche 1er décembre. Au Venezuela, comme partout à l'étranger.
Mon gouvernement sera celui de la reconstruction. Pas de la vengeance.
Si vous parvenez au pouvoir, quelle poste va occuper Maria Marina Machado, qui n'a pas pu se présenter à la présidentielle ?
Elle aura le poste le plus important du gouvernement.
Comment comptez-vous redresser ensemble ce pays laminé par des années de crise ?
En mettant en pratique les dizaines de mesures préconisées par les dizaines de rapports élaborés par les meilleurs experts du pays. Un programme concret sera mis en place.
la victoire de Maduro ne peut pas être reconnue, selon l'UE Beaucoup de Vénézuéliens réclament la prison pour Nicolas Maduro. Que comptez-vous faire avec lui et ses proches ?
Nous ne poursuivons personne en justice. Maduro pourra continuer en politique s'il le veut. Nous ne sommes pas animés par un esprit de revanche et souhaitons la réconciliation nationale. Mon gouvernement sera celui de la reconstruction. Pas de la vengeance.
Par Olivier Ubertalli-Le Point / Photo:Matias Delacroix/AP/SIPA / SIPA / Matias Delacroix/AP/SIPA
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