2024-11-28 04:45:37 - Mardi 26 novembre, les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN ont rendez-vous à Bruxelles, en présence de leur homologue ukrainien, Andriy Sybiha. Au menu de la réunion : faire un point sur l’aide militaire à apporter à l’Ukraine, dans un contexte d’intensification des combats entre Kyiv et Moscou. Quelques jours plus tôt, le 21 novembre, la ville de Dnipro a été la cible d’un tir d’un missile balistique russe. L’armée ukrainienne, de son côté, a plusieurs fois utilisé depuis le 19 novembre, des missiles à longue portée britanniques et américains contre la Russie, provoquant une réaction menaçante de Vladimir Poutine à l’égard des pays occidentaux, lors d’une intervention télévisée le 21 novembre.
Les ambassadeurs de l’OTAN profitent de leur rencontre pour réaffirmer leur soutien à l’Ukraine et considèrent l’attaque du missile balistique de la Russie «comme une nouvelle tentative de terroriser la population civile d’Ukraine et d’intimider ceux qui soutiennent le pays, qui se défend contre l’agression, illégale, perpétrée par la Russie en l’absence de toute provocation.» C’est dans ce contexte que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, émet lors d’un entretien à la BBC le 23 novembre, l’éventualité d’envoyer des soldats français en Ukraine.
Quelle est la position du gouvernement sur l’envoi de soldats en Ukraine ?
Jean-Noël Barrot ne s’interdit rien. Interrogé sur le sujet à la BBC, il affirme : «Nous - le gouvernement français - n’écartons aucune option». Les alliés occidentaux ne devraient pas «fixer et exprimer de lignes rouges» en matière de soutien à l’Ukraine, renchérit-il.
Alors que Vladimir Poutine menace de s’en prendre aux pays qui se tiendraient aux côtés de son ennemi, Jean-Noël Barrot tient à soutenir «l’Ukraine aussi intensément et aussi longtemps que nécessaire.» Il justifie cette position : «notre sécurité est en jeu, dit-il à la BBC. Chaque fois que l’armée russe avance d’un kilomètre carré, la menace se rapproche d’un kilomètre carré de l’Europe.»
Dans le même temps, le ministre français des Affaires étrangères assure qu’il envisage d’inviter l’Ukraine à rejoindre l’OTAN, comme le désire le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. «Nous sommes ouverts à une invitation, et donc dans nos discussions avec nos amis et alliés, ainsi qu’avec les amis et alliés de l’Ukraine, nous travaillons à les rapprocher de nos positions.» Il reconnaît toutefois que l’Etat devra augmenter ses dépenses en matière de défense pour «faire face à ces nouveaux défis».
Est-ce la première fois que le gouvernement émet cette hypothèse ?
Non. En février 2024, Emmanuel Macron avait déjà évoqué l’envoi de soldats occidentaux en Ukraine. Des propos qui avaient suscité de vives oppositions de la part de certains pays européens, notamment l’Allemagne. Olaf Scholz avait alors assuré qu’il n’y aurait «aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les Etats européens, ni par les Etats de l’Otan sur le sol ukrainien».
Ces derniers jours, Paris et Londres, les deux seules puissances nucléaires en Europe, se sont rapprochés. Elles s’accordent sur une ligne d’engagement similaire. Une source militaire britannique confie au journal Le Monde que «des discussions sont en cours entre le Royaume-Uni et la France concernant la coopération en matière de défense, notamment dans le but de créer un noyau dur entre alliés en Europe, axé sur l’Ukraine et la sécurité européenne au sens large». Un rapprochement accentué par la récente élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Durant sa campagne, il avait déclaré qu’il trouverait un accord avec le président russe et mettrait fin à la guerre en «vingt-quatre heures».
Toutefois, rien n’est encore acté concernant les modalités de l’envoi de soldats occidentaux en Ukraine. Dans l’hypothèse où des hommes seraient mobilisés, on ne sait ni leur nombre, ni leur nationalité, ni leurs missions. Tout reste encore à définir.
A quelles conditions la France peut-elle envoyer des troupes armées en Ukraine ?
Si le gouvernement décide d’envoyer des soldats français en Ukraine, il ne devra dans un premier temps qu’informer le Parlement de sa décision de faire intervenir des forces armées à l’étranger, et ce au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il est également obligé de préciser les objectifs qu’il poursuit en menant cette opération, ainsi que les modalités. Cela n’est suivi d’aucun vote.
Ce n’est que si l’opération dure plus de quatre mois, qu’un vote serait nécessaire pour valider ou non l’intervention. Une fois celui-ci acquis, le gouvernement n’est plus dans l’obligation de revenir devant le Parlement pour renouveler une quelconque durée d’intervention. Depuis 2008, les élus se sont prononcés sept fois pour prolonger des opérations extérieures.
De quelle manière la France s’est-elle déjà engagée en Ukraine ?
Le ministère des Armées assure qu’entre le début de l’invasion russe le 24 février 2022 et le 1er mai 2024, la France a livré pour une valeur totale de 3,035 milliards d’euros d’équipements militaires à l’Ukraine. A cela s’ajoutent 2,1 milliards d’euros versés par la Facilité Européenne pour la Paix (FEP), soit un soutien total de plus de 5,135 milliards d’euros.
Au 1er novembre 2024, plus de 14 000 soldats ukrainiens ont été formés dans l’hexagone. 2 300 militaires d’une brigade nommée «Anne de Kiev», ont achevé mi-novembre, neuf semaines de formation dans l’est de la France. Sur France 3 dimanche 24 novembre, Jean-Noël Barrot affirme que «c’est la première fois que nous formons une brigade complète de soldats étrangers depuis la seconde guerre mondiale.»
A côté des missiles américains ATACMS et des Storm Shadow britanniques, la France aussi a fourni les siens : les SCALP. Alors que ces armes longue portée ont été envoyées depuis fin 2023 en Ukraine, les armées de Kyiv doivent disposer d’une autorisation pour les utiliser. Dans son interview à la BBC, Jean-Noël Barrot a donné son feu vert. L’Ukraine peut frapper la Russie pour se «défendre». Aucune frappe de SCALP n’a pour l’instant été rendue publique. D’autres équipements militaires aériens ont été promis par la France, à l’image d’avions de chasse Mirage 2 000-5, qu’Emmanuel Macron avait annoncé envoyer en juin. Son ministre des Affaires étrangères a déclaré sur France 3 qu’ils voleront en Ukraine dans «quelques semaines».
Le gouvernement avait également suggéré l’idée d’envoyer des instructeurs militaires français directement en Ukraine. Pour l’instant, il semblerait qu’aucune armée conventionnelle n’ait été mobilisée sur le terrain pour la formation. Mais en septembre, une société privée nommée Défense Conseil International a été sélectionnée pour former les militaires ukrainiens, y compris depuis l’Ukraine.
Article de Margot Sanhes-Libération /Photo:Charles Platiau
: Afrique Monde