2024-10-08 11:48:45 - Que reste-t-il de Gaza, après un an de bombardements israéliens ? Au-delà du bilan humain qui se compte en dizaines de milliers (42 000 selon le ministère de la Santé dirigé par le Hamas), l’enclave a été en grande partie rasée, amenant les institutions internationales ou les médias à mobiliser les concepts d’«urbicide», ou de «domicide» pour décrire la destruction massive des bâtiments de l’enclave. Cette dévastation, depuis un an, est rapportée par les nombreuses images, comme celles filmées par un convoi de l’ONU dans le nord de la ville de Gaza, le 17 août, ou encore ce plan au drone pris dans la même zone, diffusé par le photographe Abdallah El Hajj le 4 octobre. Des séquences qui donnent à voir un paysage d’apocalypse. Mais ne suffisent pas à rendre compte de l’ampleur globale.
63 % des bâtiments détruits, totalement ou partiellement, ou possiblement endommagés
Depuis le 10 octobre 2023, l’Unosat, le centre satellitaire des Nations unies, documente régulièrement le sujet. Fin septembre, ce dernier a rendu publique sa neuvième «évaluation complète des dommages causés à la bande de Gaza». Sur la base des dernières images recueillies le 6 septembre 2024, il ressort que 52 564 bâtiments étaient «détruits», 18 913 bâtiments étaient «sévèrement endommagés», 56 710 étaient «modérément endommagés» , et 35 591 «possiblement endommagés». Soit un total, en additionnant ces quatre catégories, de 163 778 bâtiments, représentant 66 % du total des bâtiments de la bande de Gaza. Ce pourcentage total était de 63 % en juillet, 55 % en mai, 35 % en mars, 30 % en janvier.
La répartition des dégâts visible sur la carte, bien que touchant l’ensemble de l’enclave, se superpose peu ou prou avec la densité de population de Gaza, comme le montre ce schéma de CNN.
Dans sa méthodologie transmise à CheckNews, l’Unosat explique catégoriser comme «détruit» un bâtiment quand tout ou la majeure partie de la structure est visiblement effondrée sur les images prises depuis l’espace. «Sévèrement endommagé» concerne les bâtiments dont au moins une partie du toit ou des murs se sont effondrés, quand la catégorie «modérément endommagé» inclut les bâtiments dont les destructions visibles sont partielles, jouxtant souvent des destructions plus importantes. La catégorie «possiblement endommagé» contient les bâtiments sans dommage visible sur les images satellites, mais où l’on observe des débris et des traces de véhicules lourds dans leur proximité directe.
Ce travail d’interprétation visuelle est réalisé par les équipes de l’ONU en comparant les images satellites de différentes dates, là où d’autres organisations utilisent plutôt des algorithmes ou des intelligences artificielles. «Une méthode plus longue à réaliser mais plus précise que ce que l’IA peut produire dans ce contexte urbain… pour le moment», ajoute l’Unosat à CheckNews.
Un niveau de destruction parfois sous-évalué
L’agence précise également dans son document «qu’il s’agit d’une analyse préliminaire qui n’a pas encore été validée sur le terrain». Si dans certains cas (bâtiments ou quartiers rasés) les destructions sont flagrantes sur des imageries satellites, la technique peut avoir ses limites. Le procédé, utilisant une vision verticale (souvent très légèrement oblique) avec divers degrés de précision, engrange parfois des faux positifs, et plus souvent des sous-évaluations. L’ampleur des dégâts infligés aux bâtiments et aux infrastructures n’étant pas nécessairement visible du toit ou de l’extérieur d’un édifice. C’est ce que montrent certaines zones visiblement sous-répertoriées, où les images authentifiées comparées par CheckNews montrent un niveau de destruction bien plus élevé que celui recensé par l’ONU, notamment à Jabalia ou dans le nord de la ville de Gaza.
Au-delà des chiffres bruts, la nature des infrastructures détruites a aussi été documentée. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) mentionnait le 1er août que deux tiers des écoles de Gaza, soit plus de 120 d’entre elles, ont été endommagées ou détruites.
Une autre analyse de l’Unosat (là aussi à partir d’imagerie satellite) dédiée au réseau routier gazaoui recensait 68 % de routes endommagées dans l’enclave à partir d’images du 18 août. Le Programme des Nations unies pour l’environnement souligne dans son rapport de juin que les dégâts infligés au réseau électrique, des centrales aux panneaux solaires, représentent une destruction de 61,5 % du réseau total de distribution de l’enclave.
L’Unosat a aussi recensé que 103 des 150 kilomètres carrés de terrains agricoles de l’enclave (qui représentent au total 41 % de sa surface) ont été endommagés. Une quantification réalisée grâce au NDVI (normalized difference vegetation index, ou indice de végétation par différence normalisée), un indicateur de référence dans le secteur de l’imagerie satellite qui permet d’observer l’évolution de la santé des végétaux. D’après des images du 26 septembre 2024, comparées par l’Unosat à la moyenne des sept dernières années sur la même période, à peu près 68 % des champs de cultures permanentes dans la bande de Gaza ont ainsi montré une baisse significative de santé et de densité (à partir de cet indice NDVI). Une analyse qui reste, là aussi, à être confirmée sur le terrain.
La destruction visualisée par ses débris
Enfin, les services de l’ONU ont mis en avant un dernier indicateur, modélisant la quantité de débris dans l’enclave en lien avec le conflit. Dans une infographie publiée en août, Bloomberg, reprenant les travaux onusiens, évoquait ainsi 42 millions de tonnes de décombres de Rafah, au sud, à Beit Hanoun, au nord.
Le Programme des Nations unies pour l’environnement avait publié un rapport préliminaire sur le sujet en juin. Cet indicateur, construit à partir des données de l’Unosat sur les destructions, permet de représenter de manière différente le niveau des destructions, mais aussi ses conséquences dans le temps. Ainsi, d’après le document onusien, le seul déblaiement des débris pourrait prendre entre huit et douze ans.
Contacté par CheckNews, le Programme des Nations unies pour l’environnement explique que cette approche a pour but d’informer sur la future gestion des débris, et de se projeter sur la reconstruction. Un horizon qui ressemble à un mirage à l’heure actuelle, tant il semble lointain et hypothétique. Les bombardements sur Gaza n’ont pas cessé. Ce week-end, une nouvelle école a été ciblée par l’armée israélienne dans le centre de l’enclave. C’est la sixième depuis le début du mois de septembre. Dimanche, Tsahal a ordonné à tous les Gazaouis présents dans le nord de l’enclave d’évacuer «immédiatement» vers le sud, annonçant de nouvelles opérations d’envergure dans la zone qui est déjà la plus détruite de Gaza.
Article de Alexandre Horn - Liberation
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