2024-10-04 22:42:12 - La semaine prochaine, un avion décollera de Petite-Terre, l’île où se situe l’aéroport de Mayotte, direction Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). Il s’agira du premier «vol groupé» affrété par la préfecture du département d’outre-mer depuis la déclaration, mercredi 2 octobre, du ministre de l’Intérieur. En recourant à ces «charters», Bruno Retailleau espère accélérer l’expulsion des migrants africains en situation irrégulière ou déboutés de leur demande d’asile. Mayotte est confrontée depuis des dizaines d’années à une immigration clandestine de masse en provenance des Comores voisines, et fait aussi face, depuis la fin des années 2010, à l’arrivée d’Africains des Grands Lacs (RDC, Rwanda, Burundi…) et de Somalie ou d’Ethiopie.
Environ 60% des Congolais, les plus nombreux de ces arrivants, obtiennent le statut de réfugiés et peuvent s’installer sur le territoire français en toute légalité. Les autres font l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). C’est eux que vise le ministre de l’Intérieur, afin de «vider» l’unique centre de rétention administrative de Mayotte, dont les 136 places sont constamment occupées.
Un seul mémorandum d’entente diplomatique signé
Mais voilà… La sortie du très droitier ministre s’apparente à un nouveau coup de com. D’une part, rien de nouveau : de tels vols groupés ont déjà eu lieu entre Mayotte et la RDC, en février et juin notamment. D’autre part, ces «charters» s’effectuent à bord de coucous ne pouvant transporter qu’une trentaine de passagers, soit un maximum par vol de quinze migrants escortés par des forces de l’ordre. Une goutte d’eau : chaque année, environ 2 000 clandestins originaires d’Afrique débarquent sur les côtes mahoraises. Or en 2023, sur les 24 467 reconduites à la frontière, presque toutes en direction des Comores, seules 12 concernaient le Congo, 3 le Burundi, 2 le Rwanda… A la préfecture de Mayotte, on se félicite pourtant de ces vols groupés : «Lorsqu’on expulsait les Africains à bord de lignes commerciales, on prenait deux à trois jours, avec les escales. Les allers-retours se font désormais en un jour seulement.»
Mercredi 2 octobre, Bruno Retailleau a également annoncé des «accords de sécurité bilatéraux» avec les pays d’où viennent les migrants, pour que ces derniers puissent y être expulsés. En réalité, un seul mémorandum d’entente diplomatique a été signé, avec la RDC, et depuis 2022 déjà. Les accords concernant le Rwanda et le Burundi sont toujours «en cours de rédaction». Et rien en vue avec la Somalie et l’Ethiopie.
450 places d’hébergements supplémentaires
Si la France peine à exécuter les OQTF des migrants africains en situation irrégulière, elle a également bien du mal à gérer la situation de ceux qui viennent d’arriver à Mayotte. De par la loi, dès lors qu’ils déposent une demande d’asile, ces derniers doivent bénéficier d’un hébergement d’urgence. Mais seulement 450 places leur sont réservées sur le département, la majorité se retrouve donc à la rue. En début d’année, ces exilés avaient établi un camp de fortune sur un stade de Mamoudzou, le chef-lieu, provoquant la colère des habitants de l’île. Le squat avait été démantelé et plus de 300 migrants avaient bénéficié de «vols groupés» d’une tout autre nature : l’Etat français avait financé leur voyage vers la métropole, la destination que ces migrants rêvent d’atteindre.
Aujourd’hui, la France ne veut plus mettre la main à la poche et demande aux candidats en règle de payer leur vol pour Paris. Soit environ 1 000 euros. Jacques Guma Kipuya et sa compagne, Antoinette Mukandilwa, arrivés du Congo il y a quatre ans déjà, n’en ont pas les moyens. «On a réussi à économiser 2 000 euros, or on a trois enfants, soit 5 000 euros à débourser», se désole dans un excellent français l’ancien prof d’anglais. Le Congolais a travaillé dans une agence de voyages mahoraise, en tant que guide pour des croisiéristes, alors qu’Antoinette gagne quelques euros en coiffant ici ou là… Ils s’en sortent surtout grâce au soutien de l’association Coallia, qui les loge et les nourrit dans un de ses centres. Ils sont hébergés depuis plus de six mois, bien au-delà de la limite réglementaire en vigueur. Heureusement pour le couple, «la préfecture a demandé à toutes les associations qui disposent de logements de geler les sorties», témoigne Gilles Foucaud, directeur de Solidarités Mayotte. Le but est d’éviter que de nouveaux camps informels ne se reforment si les bénéficiaires n’ont plus de toit. Las, les demandeurs qui ont droit à un logement doivent du coup patienter, dehors… L’Etat vient certes de financer 450 places d’hébergements supplémentaires, qui seront gérés par les associations Mlézi Maoré, Coallia et Acfav. Toujours insuffisant, déplore un responsable, évoquant «une gestion sociopolitique du moment».
Par Laurent Decloitre-Liberation/Photo: Xose Bouzas
: Afrique Monde