2024-08-02 17:16:47 - Comme Terence, Isabelle ou Hubert, des Calédoniens d’adoption ou de naissance ont décidé de quitter le territoire, touché par de violentes émeutes depuis le 13 mai. Cet exode inquiète, dans un archipel auparavant en plein développement.
Tout allait pour le mieux. Le boulot, le pays, les amis… étaient magnifiques. Terence, décorateur dans le secteur culturel, et sa compagne Isabelle, graphiste, s’étaient créé un réseau solide en respectivement vingt et trente ans de vie en Nouvelle-Calédonie. Nos activités professionnelles grimpaient. Les émeutes qui ont commencé le lundi 13 mai en lien avec le projet de loi sur le dégel du corps électoral provincial, ont renversé la tendance.
Des structures publiques, pour lesquelles le couple intervenait, ont même parfois brûlé. Aujourd’hui, on n’a pas de revenus. Juste des contrats qui se terminent », observe Isabelle. Le lointain départ qui trottait dans les têtes a été nettement anticipé. On prévoit de partir fin octobre début novembre. Direction l’Alsace où une maison familiale est libre.
Patrick mettra lui le cap, dans quelques mois, sur la Bretagne, du côté de Brest (Finistère) où sa femme a des attaches. Sa décision ferme de quitter le territoire du Pacifique Sud – « un déclic » – remonte au 4e jour des émeutes. Ça sentait le brûlé. D’un point de vue, j’ai observé un énorme nuage de fumée au-dessus de Nouméa au lever du jour », raconte ce retraité, ancien croupier, banquier puis correcteur de presse, arrivé sur le Caillou il y a quarante-huit ans pour le service militaire. Sa conclusion est franche. Avec les actuelles violences en Nouvelle-Calédonie, « la notion de destin commun est morte. Le fossé entre les communautés ne pourra pas être comblé », prédit, très affecté, ce grand marcheur qui, une fois son choix arrêté, en a pleuré de tristesse, non pas pour moi, mais pour le pays ».
Fuite d’écoliers et de médecins
La vague de départs touche aussi des Calédoniens, comme Hubert, 40 ans, dont la famille est ancrée sur la Grande Terre depuis six générations. Ce cadre dans l’industrie minière voit s’avancer une crise sociale monumentale due aux destructions. Alors, tel un migrant », je vais devoir aller chercher de l’argent ailleurs, pour que mes parents et grands-parents à la retraite continuent de subsister ». Quitter sa terre de naissance est un crève-cœur. En plus d’une très lourde déception. Au fil des décennies, les deux bords politiques », non-indépendantistes et indépendantistes, n’ont pas fait réflexion commune ». Un échec énorme dans une Nouvelle-Calédonie qui disait vouloir faire peuple ».
Les chiffres commencent à parler sur le territoire de 270 000 habitants, déjà marqué par les 2 000 départs nets par an entre 2014 et 2019 pour des raisons économiques et, avance-t-on, politiques liés au contexte des consultations d’autodétermination. Le nombre de radiations d’élèves scolarisés dans les écoles primaires de la province sud pour une inscription à l’étranger et surtout dans l’Hexagone s’est nettement élevé pendant les émeutes.
Mais surtout, un phénomène très inquiétant s’accentue, déplore Emmanuel Soria, représentant du syndicat UT CFE-CGC au Médipôle. Ce centre hospitalier, le plus grand de l’archipel situé à la sortie de la capitale Nouméa, aura perdu 15 % de ses médecins en décembre. Nous avons une estimation de plusieurs dizaines de soignants dans les prochains mois sur les 1 200, explique le syndicaliste. Les personnels qui pouvaient venir les remplacer se désistent. Il en va donc de l’offre et de la qualité de soins en Nouvelle-Calédonie. Beaucoup décrivent une tendance extrêmement alarmante ».
Valise et maison
Le mouvement est réel : les sociétés de déménagement sont débordées. L’entreprise AGS Nouméa, l’une des plus importantes du Caillou, étudie en ce moment 300 dossiers par mois, contre 100 habituellement. L’affaire va de la simple valise à une maison complète », explique le directeur Noël Jourdan. Néanmoins, nous n’arrivons pas à accéder à tous les clients qui souhaitent partir, parce que des zones ne sont pas sécurisées ». D’après la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC), gestionnaire de l’aéroport international de La Tontouta, le nombre de départs est supérieur de plus de 6 000 personnes à celui des arrivées, depuis le début de l’année. Un exode est bien là, or ce sont les gens qui apportent du lien, de la vitalité économique, des ressources fiscales… liste David Guyenne, président de la CCI-NC. Alors, avec tous ces départs, on ne reconstruira pas la Nouvelle-Calédonie à l’identique dans un premier temps ».
Article de Yann MAINGUET. Ouest-France
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