2024-02-21 21:28:03 - Un nouveau retournement dans les opinions du Vieux Continent. A l’été 2023, alors que les forces de Kiev s’apprêtaient à prendre d’assaut la « ligne Sourovikine », vaste réseau de fortifications et de champs de mines édifié par les troupes russes sur la ligne de front, la plupart des Européens voulaient soutenir l’Ukraine jusqu’à ce qu’elle ait récupéré l’ensemble de son territoire. Mais, après une contre-offensive décevante et l’affaiblissement du soutien américain, une partie de cet optimisme semble s’être dissipée.
Comme au début de la guerre en 2022, une majorité des citoyens européens ne croient plus guère aux chances de Kiev sur le champ de bataille et espèrent désormais un règlement rapide et à l’amiable de la situation. C’est ce que révèle ce mercredi 21 février, à trois jours du deuxième anniversaire de l’invasion russe, une vaste étude du Conseil européen pour les Relations internationales (ECFR). S’appuyant sur un sondage mené dans douze pays de l’Union européenne (UE), elle montre aussi que les Européens considèrent de plus en plus la guerre en Ukraine comme un conflit « européen », dont ils ont la responsabilité.
Seuls 10 % des citoyens européens pensent que Kiev obtiendra finalement une victoire militaire. Ils sont deux fois plus nombreux (20 %) à penser que c’est la Russie qui sortira victorieuse du conflit. Les plus optimistes pour l’Ukraine sont les Polonais et les Portugais (17 %), les plus pessimistes sont les Hongrois (4 %) et les Grecs (2 %). Le scénario le plus probable, pour les Européens, est que les deux pays parviennent à un « compromis » autour d’une table (37 %).
Le consensus est moins franc quand il s’agit de définir la marche à suivre pour les gouvernements, même si, là encore, on retrouve les mêmes pays aux deux extrémités du spectre. A près de 50 %, les personnes interrogées en Suède, au Portugal et en Pologne veulent encore aider l’Ukraine à reconquérir son territoire. En Autriche, en Roumanie et en Italie, c’est l’inverse : la moitié des sondés estiment qu’il faut désormais encourager Kiev à signer un traité de paix. En Hongrie et en Grèce, cette proposition recueille même 64 % et 59 % d’assentiment. Dans les autres pays interrogés (France, Allemagne, Espagne, Pays-Bas), l’opinion est beaucoup plus divisée.
En bleu : « L’Europe devrait aider l’Ukraine à reprendre les territoires occupés par la Russie ». En gris : « Indifférent », « Ni l’un ni l’autre », « Ne sais pas ». En rouge : « L’Europe devrait pousser l’Ukraine à négocier un accord de paix avec la Russie ».
Des voisins devenus plus sourcilleux
« Notre sondage suggère un changement dans la géographie du soutien à l’Ukraine », remarquent les deux politologues auteurs de l’étude, le Britannique Mark Leonard, directeur de l’ECFR, et le Bulgare Ivan Krastev, président du Centre for Liberal Strategies.
« Auparavant, expliquent-ils, la logique voulait que les voisins les plus proches de l’Ukraine fassent partie de ses plus grands appuis, en termes de soutien gouvernemental à Kiev et d’ouverture à l’accueil des réfugiés ukrainiens. Mais c’est au Portugal et en France, pays éloignés, que l’Ukraine semble avoir le plus fort soutien de l’opinion publique, tandis que la solidarité populaire semble vaciller chez certains de ses voisins immédiats. »
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Outre les Hongrois et les Roumains, qui tablent désormais majoritairement sur une conquête territoriale russe, la Pologne « voit sa population devenir de plus en plus irritable sur certaines questions liées à l’Ukraine, en particulier l’accès des produits agricoles ukrainiens aux marchés polonais et européens ».
Ainsi, c’est en Pologne (40 %), en Hongrie (37 %) et en Roumanie (35 %) que la proportion de personnes considérant les migrants ukrainiens comme une menace est la plus élevée. Bien que cela puisse s’expliquer en partie par le nombre élevé d’Ukrainiens que la Pologne a accueillis depuis février 2022, cette question est devenue un défi politique, qui a encouragé certains partis à distiller un sentiment anti-ukrainien lors des récentes élections polonaises, analysent les auteurs de l’étude.
Le retour de Trump, menace majeure pour Kiev
A neuf mois de l’élection présidentielle américaine, la perspective d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche début 2025 n’enchante guère les Européens. Même en Hongrie, où « la propagande du gouvernement est aussi pro-Trump que Fox News », note l’étude, seules 28 % des personnes interrogées seraient satisfaites de son retour – contre 9 % en France, au Portugal et aux Pays-Bas.
Surtout, un come-back de Trump à la tête des Etats-Unis sonnerait le glas des espoirs ukrainiens pour 43 % des Européens, qui estiment moins probable une victoire de Kiev en cas de second mandat du milliardaire – 9 % pensent le contraire.
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Si une administration Trump venait à lâcher l’Ukraine en rase campagne, les dirigeants européens, de surcroît, ne pourront pas vraiment compter sur leurs opinions pour prendre le relais et renforcer le soutien à Kiev, montre l’étude : seulement 20 % en moyenne – de 7 % en Grèce à 43 % en Suède – souhaiteraient que les pays européens viennent compenser le retrait de l’aide américaine.
« Le grand danger est que Trump – et Poutine, qui a laissé entendre qu’il était ouvert aux négociations – tentent de dépeindre l’Ukraine (et ses partisans) comme le parti de la “guerre éternelle” tandis qu’ils revendiquent la “paix”, souligne Ivan Krastev. Or une victoire russe n’est pas la paix. Si le prix à payer pour mettre fin à la guerre est de transformer l’Ukraine en un no man’s land, ce sera une défaite non seulement pour Kiev, mais aussi pour l’Europe et sa sécurité. »
« Si l’Europe laisse Poutine faire ce qu’il veut, il ne s’arrêtera pas à nos frontières… »
Seuls 29 % des Européens estiment que l’UE a pour l’instant joué un rôle positif dans la guerre en Ukraine – tandis que 37 % considèrent qu’elle a joué un rôle négatif. « Afin de justifier le maintien du soutien européen à l’Ukraine, les dirigeants de l’UE devront changer leur discours vis-à-vis de la guerre, estime Mark Leonard. L’argument le plus convaincant pour une opinion publique sceptique est qu’un soutien militaire à l’Ukraine pourrait conduire à une paix durable et négociée en faveur de Kiev, plutôt qu’à une victoire de Poutine. »
Certes, l’engagement des Européens à empêcher une victoire russe n’a pas changé. Mais les résultats de l’enquête tendent à donner des raisons d’espérer à Vladimir Poutine, qui mise depuis longtemps sur une lassitude croissante des pays européens et un retour de Donald Trump à Washington. « De la campagne française en Algérie à la guerre des Etats-Unis au Vietnam, c’est l’effondrement du soutien de l’opinion publique autant que les revers militaires qui ont poussé les participants à s’entendre », rappellent les auteurs.
Sondages d’opinion réalisés par Datapraxis et YouGov auprès de populations adultes (18 ans et plus) réalisés en janvier 2024 auprès de 17023 personnes dans douze pays européens (Autriche, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Espagne et Suède).
Par Timothée Vilars:L'Obs/Photo- Copyright 2024,L'Obs
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