2025-04-09 04:43:19 - « Je suis une sinistrée des changements climatiques qui ont mené à une pénurie d’eau très drastique à Mayotte. Je suis touchée en tant que citoyenne, en tant que mère et en tant que travailleuse.
Qu’est-ce que vivre sans eau, dans ma situation ? C’est d’abord une nuit cauchemardesque : on reste suspendu au robinet toute la nuit en espérant que l’eau vienne. Mais elle ne vient pas. Le matin, c’est devoir dire à ses enfants qu’il n’y aura pas de petit déjeuner parce qu’il n’y a pas d’eau, ne serait-ce que pour se faire un café. Qu’ils n’auront pas d’eau pour se laver, ni pour se brosser les dents, et devront porter les mêmes vêtements que la veille pour aller à l’école. Et moi-même, ne pas savoir si, au travail, j’aurai de l’eau pour aller aux toilettes, pour boire.
C’est la puanteur inacceptable, inhumaine, indigne d’un département français, des conditions de vie indignes, auxquelles mes enfants et moi sommes confrontés depuis plusieurs années. C’est ça, vivre à Mayotte aujourd’hui. Quand l’eau arrive, elle est tellement sale qu’on ne peut pas la boire, même si on nous dit de la bouillir. Je ne donnerai cette eau à aucun être humain, ni même à un chat.
On nous demande de vivre avec moins que les besoins journaliers en eau. À chaque crise, on nous donne un litre et demi d’eau par personne, par jour. Pour boire, se laver, se faire à manger. Mais ce n’est pas à nous de faire des économies d’eau. C’est à l’État de nous fournir de l’eau potable en quantité suffisante. La conséquence, ce n’est pas juste l’eau qui manque au robinet : nous ne pouvons pas envoyer nos enfants à l’école
À Mayotte, 58 % de la population est en situation d’illettrisme. Si nous arrêtons d’envoyer nos enfants à l’école, ce sera 100 %. S’il n’y a pas d’eau, nos entreprises ne fonctionnent pas. Cela a un impact sur l’économie, les administrations, la qualité des services publics, déjà très précaires. Sur l’État de droit.
Je suis présidente du collectif « Mayotte a soif ». Nous nous sommes adressés à la justice mais elle ne nous a pas écoutés au niveau local. Nous considérons que la justice française n’est malheureusement pas assez courageuse pour dire stop aux inégalités entre un citoyen dans l’Hexagone et un autre à Mayotte.
En métropole, si un fournisseur ne fournissait pas d’eau, et si elle était sale, il y aurait une jurisprudence qui dirait qu’on n’a pas à payer de factures. Aujourd’hui, à Mayotte, je reçois des factures de plus de 300 euros. Et que dit la Cour de cassation ? Que, sur la facture, qui en réalité est une extorsion puisque je paye un service dont je ne bénéficie pas, il n’y aura à payer que 30 %.
Nous n’avons pas eu les réponses que nous attendions de la France, un pays démocratique. C’est pour cela que je rejoins les autres membres du collectif pour avoir gain de cause. On attend, avec ce recours, que les inégalités entre l’Hexagone et les territoires d’outre-mer soient levées une bonne fois pour toutes. »
Par Jessica Stephan-L'Humanité
: Afrique Monde