2021-12-18 06:21:02 - Ce vendredi 17 décembre, à midi, seuls les membres de la famille des accusés sont autorisés à pénétrer dans la salle d'audience de la cour criminelle d'Antananarivo, pour saluer les condamnés qui retourneront en prison d'ici quelques minutes. Vendredi à midi, au bout de 10 jours de procès, le verdict de l’affaire dite « Apollo 21 » est tombé à la Cour criminelle d’Antananarivo. Six des 20 accusés ont été condamnés, dont quatre avec de lourdes peines. Les autres ont été relaxés au bénéfice du doute, ou simplement acquittés. Récit de cette dernière journée d’audience, placée sous très haute surveillance.
Grenades assourdissantes, kalachnikovs, gilets par balles… L’équipement impressionnant de la soixantaine de forces de l’ordre déployée tout autour de la salle d’audience laisse transparaître ce vendredi matin une journée de procès différente des autres.
En début de séance, chaque accusé s’exprime une dernière fois face à la cour. « Je réfute les actes d’accusation », « Je suis innocent », « Jamais je n’ai eu l’intention de renverser le régime », peut-on entendre de la bouche des 20 accusés.
Puis, à 9h45, la présidente de la cour et ses quatre assesseurs prennent congé pour aller délibérer. Dans la salle d’audience commencent alors deux longues heures d’attente. Les accusés font les cents pas, blaguent entre eux, ou prient, mains et visages tournés vers un plafond décrépi. Tous semblent sereins. À 11h55, les membres du jury réapparaissent. « Que tout le monde reste debout durant la lecture du verdict », ordonne la présidente.
Six condamnations
En malgache d’abord, puis en français, la juge lit alors la sentence, commençant par les acquittements pour finir par la peine la plus lourde. Les douze gendarmes sont acquittés. Le général à la retraite Ferdinand Razakarimanana et Brigitte Mroczek, la compagne de François Philippe, sont relaxés au bénéfice du doute.
L’ex-Premier ministre, le général Victor Ramahatra et le chargé de mission auprès de la Sareraka sont condamnés à cinq ans de prison avec sursis.
La juge marque une pause et reprend son énoncé. « Est condamnée à cinq ans de travaux forcés [les travaux forcés et le bagne ont été abolis en 2010, mais cette notion, issue du code pénal, est restée. Cela correspond désormais à une peine de prison ndlr] : Voahangy Andrianandrianina, épouse de Paul Rafanoharana. Sont condamnés à 10 ans de travaux forcés : Philippe François et Aina Razafindrakoto. Est condamné à 20 ans de travaux forcés : Paul Rafanoharana. Vous avez le droit de vous pourvoir en cassation dans un délai de trois jours. L’audience est levée. »
Dans la salle, les condamnés restent debout, sonnés, mais droits. Les trois associés de Tsara First, le fonds d’investissement dédié au commerce de l’or, vont s’entretenir avec leurs avocats pendant une demi-heure et échanger quelques mots avec leurs proches, venus les soutenir. Puis ils seront exfiltrés, par une porte annexe. Exfiltrés aussi, les avocats généraux, la présidente et les jurés ; durant tout le procès, ces magistrats auront pris soin de fuir la presse.
« Il n’y avait pas de preuves ! »
La défense, elle, compte bien faire entendre sa colère. Ni les vices de procédures dénoncés, ni les violations des droits de leurs clients n’ont permis d’obtenir la nullité de la procédure. « Je suis consternée, c’est scandaleux ! » lâche, dépitée, Me Arlette Rafanomadio, avocate de Paul Rafanoharana, l’homme à l’origine du « Projet Apollo 21 ». « Ils ne se sont pas penchés sur toutes les violations de droits fondamentaux… »
« Il n’y avait pas de preuves ! », explose de son côté Me Willy Olala, autre avocat de Paul Rafanoharana. Il a toujours plaidé que son client avait seulement imaginé comment « neutraliser la mafia qui nuit au pays afin de sauver le Soldat Ryan ». Un sobriquet donné à un chef de l’État présenté comme prisonnier de luttes d’influences. « Quand est-ce que le ministère public a sorti des preuves pour faire condamner ces gens-là ? C’est minable. Il y a eu des consignes quelque part. Une main puissante a dit : "vous allez faire ça" », insinue l'avocat.
Pour preuve, l’icône du barreau relate que des médias pro-régime annonçaient déjà de lourdes condamnations le matin, avant même le verdict prononcé. « Ils étaient déjà au courant, ils étaient de connivence avec ceux qui ont donné les ordres. Ce qui prouve que la sentence était dictée ! » affirme-t-il furibond.
Me Chan Fa, défense de Philippe François, tente une approche plus mesurée. « Mon client méritait d’être acquitté. On respecte la décision. Mais qu’on le veuille ou non, il y a une connotation politique dans ce dossier et c’est vraiment regrettable. Quand la politique entre dans un procès, la justice sort par la petite porte… »
« Nos clients sont allés marcher sur "leurs" platebandes »
Me Arlette Rafanomadio renchérit. « S’il y a complot, pourquoi aucun des militaires n’a été condamné ? [l’accusation a soutenu durant tout le procès qu’ils avaient été recrutés par Philippe François pour effectuer une action commando, ce que les accusés ont toujours nié, ndlr] Un complot ne peut pas être réalisé par deux ou trois personnes ! »
Avant de tourner les talons, l’avocate ajoute : « Moi, je vais vous dire ce qu’il se passe. Nos clients sont allés marcher sur "leurs" platebandes. C’est ça le fond du dossier. Une société qui exploite l’or et qui débarque sur "leurs" platebandes. C’est mon analyse. »
« À qui faites-vous référence Maître ? » questionnent alors les journalistes. « Je ne peux pas vous le dire, ce serait de la diffamation, mais vous devinez très bien de qui il s’agit », conclut-elle.
À Madagascar, la majorité du business aurifère est contrôlé par l’entourage du Président Andry Rajoelina. Les avocats de la Défense ont d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient se pourvoir en cassation, sitôt la décision écrite publiée.
Sarah Tétaud - RFI
: Afrique Monde