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Afghanistan : 9 demandeurs d'asile afghans sur 10 obtiennent-ils l'asile en France, comme l'affirment plusieurs élus ? Des chiffres « à prendre avec des pincettes »

2021-08-18 22:29:31 - Selon plusieurs élus politiques, 9 demandeurs d'asile afghans sur 10 obtiendraient le statut de réfugié en France. Depuis la conquête de l’Afghanistan par les Talibans et la déclaration controversée d' Emmanuel Macron sur la nécessité, pour la France, de se « protéger contre les flux migratoires irréguliers », la question de l’accueil des Afghans exilés domine le débat politique national.

Invités respectivement d’Europe 1 et de LCI, mercredi 18 août, Stanislas Guérini, délégué général de La République en marche (LREM) et Laurent Jacobelli, porte-parole du Rassemblement national (RN), ont ainsi avancé des chiffres similaires sur le sujet.
 
« Chaque année, ce sont 10.000 Afghans qui demandent l’asile dans notre pays. Plus de 9 sur 10 obtiennent l’asile et un statut de réfugié », avançait le premier, quand le second affirmait : « Il y a déjà 10.000 réfugiés afghans par an qui demandent l’asile politique en France, les 4/5e l’obtiennent ».
 
FAKE OFF
 
Joint par 20 Minutes, l’entourage de Stanislas Guérini indique que ce dernier s’est basé sur « les chiffres des demandes d’asile après examen par l’Ofpra (Office Français de protection des réfugiés et apatrides) puis par la Cnda (Cour nationale du droit d’asile) », tandis que Laurent Jacobelli mentionne comme sources, en plus d’un communiqué de l'Ofpra, un article de « L’Opinion » en date du 9 juillet intitulé « La France accepte quatre réfugiés afghans sur cinq ».
 
Contacté par 20 Minutes, l’Ofpra indique que « les chiffres annoncés sont exacts. » « En 2020, environ 10. 000 ressortissants afghans ont déposé une demande d’asile. Plus de 90 % d’entre eux ont obtenu une protection internationale, reconnue par l’Ofpra ou après recours devant la Cour nationale du droit d’asile », ajoute l’organisme, tout en précisant que « le taux de protection internationale communiqué est celui concernant le 1er semestre 2021 », ce chiffre n’ayant pas encore été publié sur son site.
 
Solenne Lecomte, en charge de la coordination Asile en Ile-de-France au sein de La Cimade, une association d’aide aux migrants, nuance toutefois ces statistiques : « Le problème, c’est qu’il est compliqué d’avoir les chiffres du total de demandeurs afghans protégés en 2020 avec les rapports officiels. Le pourcentage net des demandeurs d’asile afghans admis par l’Ofpra tourne autour de 64 % et celui de la CNDA autour de 81% d’accords sur les recours contre une partie des décisions négatives de l’Ofpra. ll y a eu environ 2.700 recours de demandeurs afghans en 2020 mais le pourcentage d’environ 81 % s’applique seulement sur les décisions rendues en 2020, dont les recours ont pu être introduits en 2019. »
 
Des chiffres « à prendre avec des pincettes »
 
Le ratio entre les demandes d’asiles de citoyens afghans et l’obtention d’une protection internationale s’avère en effet inférieur à 90 % dans le rapport d'activité de l'Ofpra relatif à l’année 2020. Selon les pages 108 et 109 de ce document, sur un total de 10.364 demandes d’Afghans, le total « d’admissions Ofpra et Cnda » s’élève ainsi à 7.494, soit 72,3 % des demandes.
 
Un pourcentage en hausse d’un peu plus de 10 % par rapport à l'année 2019 (61,3 % avec 6.244 admissions Ofpra et Cnda sur 10.175 demandes, selon les pages 102 et 103 du rapport d’activité), en raison notamment de la crise du Covid-19, « qui a fortement réduit les déplacements internationaux et affecté durablement [les] conditions d’activité de l’Ofpra », ce qui a représenté une baisse de 28% des demandes d’asile par rapport à 2019.
 
« Les [chiffres avancés le 18 août] sont donc à prendre avec des pincettes, même s’il apparaît clairement que les demandeurs afghans sont généralement reconnus comme à protéger au titre de l’asile », ajoute Solenne Lecomte, qui apporte une précision d’importance : « La plupart des demandeurs afghans (57 %) obtiennent la protection subsidiaire en raison d’un conflit armé – des chiffres stables, que l’on retrouvait déjà en 2019 –, contre seulement 7 % qui sont protégés par la convention de Genève grâce au statut de réfugié au titre d’une persécution pour des opinions politiques. »
 
Une protection subsidiaire moins garante de stabilité que le statut de réfugié
 
« La différence est importante puisque la protection conventionnelle de réfugié garantit une protection sur 10 ans contre un titre de séjour de 4 ans pour la protection subsidiaire, qui peut en plus être réévaluée selon la situation du pays. Elle est beaucoup moins protectrice en termes de stabilité : maintenant que les Talibans sont au pouvoir, on pourrait considérer qu’il ne s’agit plus d’un conflit généralisé mais d’une situation qui se stabilise », explique la spécialiste de La Cimade.
 
Solenne Lecomte rappelle en outre que les « conditions d’accueil des demandeurs d’asile afghans » sont loin d’être « favorables » : « Ce sont souvent des hommes plutôt jeunes et seuls, […] contraints de vivre à la rue, car non prioritaires dans les dispositifs d’hébergement sous-dimensionnés. De plus, parmi eux, nombreux sont ceux privés des conditions matérielles d’accueil (hébergement, allocation et suivi administratif et juridique) en raison notamment de leur parcours Dublin [le fait d’avoir enregistré leur demande d’asile au préalable dans un autre pays européen que la France] ».
 
Alexis Orsini

: Afrique Monde